Vous connaissez probablement quelqu'un qui est passionné par les oiseaux : quelqu'un qui peut patiemment garder le silence pendant des heures, les reconnaître par un aperçu de leurs plumes, distinguer leurs sons et comprendre leurs habitudes. Certains appelleraient cela un passe-temps, d'autres une passion. Et aujourd'hui, un nombre croissant de scientifiques la qualifieraient d'utile, voire d'indispensable.
Science citoyenne, science communautaire, veille bénévole ou participation du public à la recherche scientifique : tous ces noms désignent un phénomène de société en pleine croissance qui relie les sciences au public. De plus en plus de personnes souhaitent désormais s'impliquer dans les avancées scientifiques, notamment en ce qui concerne la compréhension de la biodiversité, à commencer par nos ornithologues. Le programme « Test de préférence de semences » (SPT) mené par le Cornell Laboratoire d'Ornithologie en 1993 marque l'inauguration des National Science Experiments (NSE) aux États-Unis, et a été le premier programme scientifique transnational impliquant le public. Des centaines de participants à travers les États-Unis ont aidé à recueillir des données et des observations sur les tendances courantes de consommation de graines pour oiseaux. Le programme visait certaines conditions, les participants suivant un protocole précis, et a montré que la régularité de l'implication, ainsi que la fiabilité des données collectées, étaient les principaux obstacles à de telles expérimentations. Que se passe-t-il lorsque le public se mêle à la science, et qu'apporte la coopération entre les scientifiques et la société au sens large à la science et à la société ?
Depuis le XXe siècle, une nouvelle relation entre les scientifiques et la société a émergé, conjuguée à une expansion d'Internet comme vecteur de diffusion et de production de connaissances, et à l'ère "Anthropocène" où la plupart des activités humaines provoquent de profonds changements environnementaux.
Se situant historiquement en toile de fond des découvertes scientifiques, la science citoyenne a pris de nombreuses formes. Des habitudes de cueillette de plantes aux changements majeurs dans la compréhension des modèles de biodiversité, cela a conduit le grand public à s'impliquer dans les processus scientifiques. Le Muséum National d'Histoire Naturelle, par exemple, a lancé le programme national Vigie Nature mettre en relation les citoyens de tout le pays avec les chercheurs scientifiques et leurs besoins en matière d'observation de la nature et de collecte de données. Guillaume Lecointre, président du Muséum, dit qu'il n'y a pas de meilleur sentiment pour un scientifique que de "faire embarquer ses concitoyens avec la science".
Dans cette perspective, les sciences participatives se définissent du point de vue des publics concernés et de la nature de leurs relations, comme « des formes de production de connaissances scientifiques auxquelles participent de manière active et délibérée des acteurs scientifiques non professionnels – qu’ils soient individuels ou collectifs ». La participation est soit une initiative du public concerné, soit résulte d'une demande de la communauté scientifique. Dans notre monde contemporain globalisé et impacté par le climat, cette méthode attire de plus en plus l'attention. L'implication des groupes de citoyens dans le processus scientifique est désormais essentielle pour accéder à une information plus diversifiée et accélérer le rythme d'élaboration des données scientifiques. De plus, il relie la société à la science et initie la soi-disant démocratisation du savoir, favorable au progrès social. Néanmoins, ces méthodes peuvent impliquer un certain nombre de contraintes et de complications, et ne sont pas toujours fiables. Une médiation scientifique adéquate est nécessaire pour assurer la validité et la cohérence du processus.
La majorité des projets de science citoyenne utilisent des ressources en ligne pour assurer une participation maximale, mais d'autres impliquent des personnes présentes sur place. Les citoyens peuvent solliciter l'aide des chercheurs, par exemple pour les aider à définir des protocoles de recherche ou à analyser des résultats, comme cela a été démontré dans le domaine de la biodiversité comme comparer les pistes ou signaler le changement de comportement d'une espèce. Depuis 2019 Océanopolis, le centre national français de culture scientifique océanique, mène un programme fort de science citoyenne : Objectif Plancton (Objectif Plancton). Céline Liret, sa directrice scientifique, affirme que le programme ne bénéficie pas seulement de l'aide des participants, il n'existerait tout simplement pas sans elle. Le projet se concentre sur l'analyse de l'état du plancton côtier, car il souffre de diverses perturbations naturelles et anthropiques. Le plancton est absolument indispensable à la vie sur Terre et en mer, représentant 95% de la biomasse marine, et produisant 50% de l'oxygène de l'air que nous respirons. Il se situe également au premier niveau de la chaîne alimentaire. L'érosion de cette biodiversité a des conséquences considérables sur l'écosystème mondial.
"Ce qui rend le projet intéressant, c'est qu'il implique ces citoyens qui échangent avec les scientifiques et qui comprennent ce qui se passe dans un environnement qu'ils aiment."
Céline Liret
Le programme est mené avec 29 bateaux collectant simultanément des échantillons d'eau sur trois sites différents (Brest, Concarneau et Lorient, tous en Bretagne dans le nord-ouest de la France). Parmi les bénévoles se trouvent des propriétaires de bateaux, des étudiants, des sauveteurs et des résidents. Leur aide a donné aux scientifiques la possibilité de faire des échantillonnages simultanés à différents endroits, ce qui était auparavant impossible. Munis d'un protocole clair et accompagnés d'élèves, les bénévoles calculent la température de l'eau, son pH, sa salinité, sa turbidité, la présence de chlorophylle A et de sels nutritifs. Ils décrivent la taxonomie du phytoplancton et font l'inventaire des « ichtyoplanctons », ou microalgues toxiques. Les résultats montrent une variabilité dans l'espace et dans le temps de la vie planctonique, corrélée à la salinité et à la température. Forts de leur propre expérience des chantiers et des réflexions, les plaisanciers viennent enrichir la réflexion pour faire avancer les analyses et les résultats. Océanopolis coordonne le projet avec l'Institut Universitaire Européen de la Mer (IUEM)) et ifremer. Ce rapprochement entre scientifiques et citoyens décrit par Céline Liret assure la stabilité et la réussite de ce processus.
« Le volet médiation scientifique est essentiel car il motive la communauté. Il y aurait eu une perte de vitesse à long terme s'il n'y avait pas eu de médiation scientifique entre les deux parties. Avec elle, les gens restent impliqués et motivés. Une grande coordination est indispensable, c'est le rôle d'Océanopolis. Les places et les rôles de chacun sont clairement définis, ce qui fait la force du projet.
Céline Liret
Un autre site est sur le point d'ouvrir dans le Fjord du Saguenay au Québec, prometteur pour l'expansion internationale de ce projet.
Alors que la démocratisation des connaissances scientifiques par la science s'étend à l'échelle mondiale et devient de plus en plus connue, l'implication des citoyens n'est pas encore bien documentée. Professeur en sociologie et communication Florence Millerand explore les différentes formes prises par la science citoyenne, les motivations des participants, la relation entre la science et la société et les perceptions de l'engagement citoyen scientifique dans l'article "La participation citoyenne aux sciences participatives : formes et figures de l'engagement ». Au-delà de ce que la science gagne de la science citoyenne, elle montre ce que la société reçoit : connaissances, nouvelles compétences et compréhension des questions scientifiques. Du bénévole occasionnel à l'amateur engagé, en passant par le scientifique « amateur », les degrés d'expérience et d'expertise varient. Selon Millerand, « la recherche participative peut non seulement fournir des moyens pour étendre l'activité de la réflexion scientifique dans toutes les populations, mais aussi permettre de penser différemment les paradigmes dominants dans la recherche, et de proposer d'autres terrains et d'autres objectifs pour la reconstruire et la relier directement à les intérêts globaux des sociétés. Ils enrichissent ainsi à la fois la science et la démocratie. Les citoyens étant intégrés dans leurs sociétés locales sont capables de produire des processus innovants, plus connectés à la réalité sur le terrain. Céline Liret explique que les propriétaires de bateaux s'engagent pour leur propre bénéfice et la satisfaction et la fierté de contribuer au projet, le sens de la communauté derrière, etc. :
« Il est nécessaire de maintenir l'engagement de la communauté, de fournir des commentaires des scientifiques, d'expliquer et de partager les résultats. Avec une bonne médiation, les utilisateurs et les participants se sentent fiers du projet et sont encouragés à rester impliqués. A l'origine, on pensait que les bénévoles venaient pour participer à une cause, mais en fait c'est avant tout le plaisir de faire ce travail collectif, la satisfaction de monter en compétence, de comprendre les résultats scientifiques : les gens collectent mais aussi donnent leurs hypothèses et suggestions. Il y a aussi des échanges entre étudiants et propriétaires de bateaux. Aujourd'hui, nous avons une liste d'attente pour devenir participant !
Céline Liret
Néanmoins, certains obstacles à ces processus doivent être réfléchis. Les travaux de Trumbull et al. sur la participation des citoyens à l'observation des oiseaux et le test de préférence des semences ont montré que les personnes qui ont tendance à s'impliquer dans les sciences participatives sont plus âgées et plus éduquées que la population moyenne, et la plupart sont déjà intéressées par les sciences. Les problèmes rencontrés comprenaient des procédures incorrectes lors de la participation, des expériences non menées entièrement, une perte d'intérêt, des changements de vie et un manque de données.
La récente La réunion COP15 s'est terminée par un accord sur 30% de la protection des écosystèmes terrestres et marins d'ici 2030 de toutes les parties concernées. Comment les initiatives de science citoyenne peuvent-elles contribuer à poursuivre ce nouvel objectif ?
L'exemple de Objectif Plancton inspire une initiative citoyenne qu'il convient de promouvoir et d'élargir.
D'autres programmes de biodiversité se développent à l'échelle internationale, comme le Toile Botanique portail web (un réseau collaboratif de botanistes), le FloreQuébec collectif (association naturaliste de protection de la flore), ou eButterfly (une plateforme web d'observation des papillons). Le projet d'enquête de masse Morse de l'espace, initiée par le WWF, permet à « la foule » de repérer les populations de morses sur Terre grâce à des satellites à très haute résolution (VHR). Tous s'appuient sur la participation des citoyens aux activités de contribution de données et de création de ressources : identification de spécimens ou transcriptions d'informations à partir d'images, etc. Retrouvez également plusieurs initiatives sur le Site Web National Geographic ou plateformes gouvernementales.
Ces initiatives devraient être prises en compte dans la prise de décision et, comme la COP15 devrait initier un véritable changement dans la façon dont nous protégeons la nature, la participation de la société devrait être la bienvenue pour atteindre ces objectifs. La médiation scientifique doit créer et entretenir ce lien.
La recherche participative met en évidence une contradiction entre le fonctionnement de la recherche, les paradigmes dominants et les intérêts et besoins des populations… et des chercheurs eux-mêmes. En tant qu'organisme spécialisé, souvent dépossédé des orientations mêmes de ses recherches, pressé par les syndrome du « publier ou périr » ou victimes d’une forme de taylorisation de la recherche, les chercheurs ont tout à gagner à ouvrir leurs pratiques aux besoins des populations au sein desquelles ils travaillent.
Image de Michael Schiffer – Unsplash